lundi 16 juillet 2012

La France de la Restauration (1814-1830) I

Francis DÉMIER, La France de la Restauration (1814-1830) - L'impossible retour au passé, Folio Histoire - Gallimard, Paris, mars 2012 (1095 pages).


J'ai donc entrepris, l'été n'est-il pas le temps des rétrospectives ? un voyage dans le temps vers une période d'à peine quarante ans, mais de conséquence, qui aura vu un règne finir et un pouvoir se substituer à un autre, la bourgeoisie marchande remplaçant l'aristocratie féodale : la Révolution française. Que je commence par la fin avec la Restauration.

Paru directement dans la collection Histoire de Folio Gallimard, ce pavé pour la plage (protégez-vous du soleil...) constitue bien plus que le récit des événements, pour l'auteur, en effet, l'histoire doit s'intéresser au territoire, à l'économie, au social, aux idées et à ce que nous appelons la « culture ». L'ouvrage comporte donc quatre parties, deux « historiques », sur les années 1814 à 1820 : Une monarchie en quête de légitimité, puis les années 1820-1830 : La dernière bataille de la France châtelaine, et deux moins rattachées à l'événement et à la politique et plus sur l'économie et la société : La France à « l'Âge positif » et enfin Les années 1820 : « Les idées mûrissent vite ».

 À la fois synthèse des ouvrages précédents et regard actuel sur le dernier chapitre de la Révolution, l'ouvrage nous éclaire non seulement sur cette période de transition, mais aussi sur l'interprétation qu'en ont fait les régimes qui se sont succédé depuis la chute de Charles X, de la Monarchie de Juillet à la République, en passant par le Second Empire, car chacune a donné à la Restauration une « lecture » servant sa propre idéologie, tant il est vrai qu'on ne peut envisager le passé qu'à travers les lunettes qu'elle porte : chaque époque, la nôtre y compris, voit et comprend l'histoire selon sa propre vérité, sa propre objectivité.

La lecture de la première partie terminée, j'aurai appris notamment que, contrairement à ce qu'on m'avait enseigné hier encore, le retour des Bourbons en 1814 n'était pas une évidence généralement partagée, y compris en France, et que les Cent-Jours n'auront pas rassemblé la nation autour de l'Empereur dans un sursaut contre l'obscurantisme. En effet, on verra que les puissances alliées ne souhaitaient pas nécessairement le départ de l'Empereur, mais principalement le retour de certains territoires conquis par celui-ci hors des frontières « naturelles » de la France; que les Bourbons n'étaient pas le premier recours possible. On verra enfin comment deux figures marquantes de l'Empire, Talleyrand et Fouché -- le vice et le crime, selon Chateaubriand --, auront réussi, pour le premier, à imposer à celui qu'on appelait Louis-Stanislas de Bourbon, une constitution assez libérale marquée par les Lumières et, pour le second, à rétablir au pouvoir un régime qui tout en étant assez populaire, s'était discrédité pendant les Cent-Jours, et à maintenir, contre la volonté des ultras, une constitution que la bourgeoisie souhaitait.

L'auteur rend très bien le climat d'incertitude de cette période de ruptures, où tout peut se faire et se défaire en quelques jours, où les exclus d'hier sont les importants d'aujourd'hui, où amis et ennemis se trahissent et s'appuient les uns sur les autres. Cela se lit... comme une histoire. Balzac n'est pas loi.

Et comme on voit à la fin de tout bon feuilleton : à suivre...


 Présentation de l'éditeur :
« S’il est une période de l’histoire de France qui a fait l’objet de nombreux travaux et recherches, c’est la Restauration, dont les premières histoires datent de la fin de 1830, dès le lendemain de son renversement par l’insurrection de juillet. Historiographie essentiellement politique, lieu de batailles féroces d’interprétations qui, jusqu’à nos jours, ne se départissent guère de la clef d’interprétation livrée dès les années 1830 par le premier historien de la période, Jean-Baptiste Capefigue : « On ne pourra bien saisir le caractère de ce mouvement qu’en suivant le fil de la grande intrigue qui, depuis le 13 juillet 1789, a remué la France et l’Europe ; car, chose étonnante, dans toutes les phases de sa fortune, la maison des Bourbons est demeurée avec ses grandeurs, ses préjugés et ses chimères ! ».
 

» Avec Francis Démier, la focale se déplace : La Restauration n’est plus seulement la « mise au tombeau » de la monarchie narrée par Chateubriand, qui viendrait clore l’épisode ouvert par la crise de juillet 1789 par la démonstration en 1830 de "l’impossible retour du passé". Elle est tout autant l’ouverture à l’avenir d’une France économiquement industrieuse et bientôt industrielle, se lançant dans la modernisation, cette France dont Balzac a superbement dressé la physiologie et dont Joseph Lainé, alors député de la Gironde, déclarait devant la Chambre, le 6 mai 1820, dans une formule lapidaire qui peut résumés ce livre : "…les intérêts matériels sont devenus prépondérants". »

dimanche 15 juillet 2012

Le néo-libéralisme et son histoire - La Vie des idées

Le néo-libéralisme et son histoire - La Vie des idées


Le site La vie des idées.fr,  « coopérative intellectuelle, lieu de débat et atelier du savoir », que j'ai récemment découvert et suis avec beaucoup d'intérêt -- il est rattaché à l’Institut du Monde Contemporain (Collège de France) et dirigé par Pierre Rosanvallon -- propose un dossier sur le néolibéralisme à l'occasion de la publication du livre de Serge Audier Néo-libéralisme(s) une archéologie intellectuelle.

Une étude approfondie, fort bienvenue, qui dissipe les idées reçues sur ce courant socio-économique.

samedi 14 juillet 2012

Rentrée littéraire (déjà)

Certains, en Amérique du moins, fêtent un noël en juillet, d'autres, en France, évidemment, lancent la rentrée littéraire de septembre.

Témoin, l'éditeur Christian Bourgois offre près d'une centaine de pages d'extraits des nouveaux romans de quatre de ses auteurs, Linda Lê, avec Lame de fond, Toni Morrison, avec Home, Keith Scribner avec L'expérience de l'Orégon et enfin Enrique Vila-Matas avec Air de Dylan.

C'est gratuit, sous format ePub et sans drm !


Le livre, son passé, son avenir

Alain FINKIELKRAUT, Répliques, France Culture, 14 juillet 2012.

Sans conteste, Alain Finkielkraut excelle dans le rôles de Cassancre; il m'arrive de me demander s'il ne redoute pas l'électricité... En revanche, on écoutera avec intérêt ses deux invités, l'historien Roger Chartier et le sociologue Olivier Donnat parler du livre et d'Internet. On est loin, Finkielkraut excepté, des banalités habituelles sur le sujet.




vendredi 13 juillet 2012

Mon tour du « Monde »

Éric FOTTORINO, Mon tour du « Monde », Gallimard, Paris, mars 2012 (542 pages). Également disponible sous format ePub.

Petit pavé que ce récit autobiographique de l'ancien directeur du Monde Éric Fottorino (septième titulaire du poste; rappelons que le journal a été fondé en 1944 par Hubert Beuve-Méry). Petit, en effet, si on le compare avec les 1095 pages de La France de la Restauration -- L'impossible retour au passé qui accompagneront ma semaine les pieds dans l'eau du lac Massawipi; j'ai décidé de me lancer dans un cycle Révolution française que, logiquement, je commencerai par la fin...

Le Monde, donc, vu par Fottorino dans un récit autobiographique, genre que je ne prise guère d'habitude, mais, lecteur assez régulier du quotidien -- et fidèle du supplément du vendredi Le Monde des Livres, je m'intéresse à son histoire, d'autant plus que je n'avais pas vraiment compris le pronunciamiento qui, il y a un peu plus d'un an, a entraîné la chute directeur. Autobiographique, certes, mais journalistique, si je puis dire, rien de pipole en conséquence, et peu de détails personnels sur l'auteur, hors le projecteur de sa carrière.

Période intéressante qu'aura vécue Fottorino, tant comme journaliste que comme directeur : une époque de ruptures, de transitions. La fin de l'illusion d'une presse indépendante sur le plan économique (sinon, on le sait trop bien dans nos contrées, sur le plan éditorial), les crises économiques à répétition, l'irruption très rapide d'Internet, l'évolution des habitudes de lecture qui en découlent, tout cela est fort bien narré et, par analogie, on saisit bien comment les grands journaux d'ici, comme La Presse ou Le Devoir ont dû faire pour survivre à une évolution semblable : s'adapter ou disparaître. Car la presse est devenue une industrie, un enjeu économique et financier. Pour ne pas dire politique... Il suffit de lire les deux chapitres (intitulés Scènes de château -- elles se passent à l'Élysée) sur les relations entre l'auteur et le président Nicolas Sarkozy -- quel portrait saisissant d'un homme si vulgaire, si suffisant, dont voici un exemple, où le président s'ouvre, devant un petit comité de sommités intellectuelles, qu'il cherchait à séduire, de ses projets d'avenir :
« Manifestement il y avait réfléchi, et la musique n'était pas celle d'un second mandant : "Avec Carla on ne veut que du bonheur tranquille, dans une belle maison puisqu'on a les moyens. Je suis président. Mon prochain statut sera ancien président, et celui-là durera très longtemps. Alors je ferai comme Bill (comprendre : Clinton) ou comme Tony (comprendre : Blair) : je ferai des conférences et là, je me bourrerai!"

»Il est inutile de décomposer cet instant qui nous laissa tous si pantois que deux mois plus tard [...], la haute silhouette d'Olivier Nora se rapprocha de moi pour me demander dans un souffle si nous avions bien entendu ce que nous avions entendu. Mais reprenons. "...et là, je me bourrerai" : ce n'était pas une familiarité du président signifiant qu'il descendrait des grands crus avec sa belle Italienne. Non, il s'agissait de s'en mettre plein les poches, et s'il était question pour lui de se bourrer, c'était d'argent, disons de fric, de pognon, pour rester dans la note. »
On a les puissants qu'on mérite, pourrait-on soupirer... Mais la cour sera toujours la cour !

Un des rares moments où l'homme perce sous le journaliste, quand, pendant qu'il affronte une des nombreuses crises qui secouent le journal, survient le suicide son père :
« ...je réalisai que chaque lettre du mot crier était contenue dans le verbe écrire. Ce fut une révélation : écrire c'était crier en silence, sans bruit, pleurer de l'intérieur comme pleurent les grottes et, si je m'épanchai sur le papier [l'écriture d'un roman sur son père] pour assourdir la déflagration qui m'avait atteint, je n'en montrai rien...»
Certes, Fottorino, n'est pas Saint-Simon, mais son livre a été rédigé en moins d'un an après les faits, mais il sait très bien faire vivre à son lecteur le bonheur du métier de journaliste, mais aussi les affres du pouvoir, car un journal est aussi un lieu de pouvoir, une arène où si le sang ne coule plus comme autrefois, on meurt fût-ce métaphoriquement.

Petit reproche toutefois, s'il détaille les mécanismes de son ascension à la direction du journal, il passe très vite sur les circonstances de son éviction; il nous faudra attendre le travail à venir d'un historien. Quoiqu'il en soit, on sent, sous la plume de Fottorino, l'amertume non pas de l'échec, mais de ne pas voir reconnu l'effort qu'il a fourni pour sauver Le Monde de la faillite, ni l'ampleur du défi. Mais, il n'a pas su être un Rastignac, plutôt un Rubempré... Pour trouver un Rastignac dans la presse française, il faut regarder du côté de Franz Olivier Gisbert, l'actuel directeur du Point, que vous découvrirez dans le très bel article de Marion van Renterghem (du Monde Magazine) -- voir le lien ci-dessous.

Ultime citation, que je destine à mes amis du monde de la presse :
« ...je mesurai alors combien les journalistes – dont j'étais – ignoraient ceux à qui, au final, leur travail était destiné. Je retiens la leçon : un lecteur était incapable de savoir quel journal il voulait, mais il avait toujours raison. »

Journaliste ne suis, chers lecteurs, mais c'est vous qui avez raison !

Franz Olivier Gisbert : le journaliste sans foi ni loi

Présentation de l'éditeur :
« Longtemps j'ai rêvé du Monde. J'y serais entré même à genoux ! Depuis mon premier article, paru en 1981 -- j'étais encore étudiant -- jusqu'à mon départ, en février 2011, près de trente années se sont écoulées.
» Je me souviens de tout. La rue des Italiens, les séances de Bourse au palais Brongniart, mes premiers reportages. Je revois les affamés d’Éthiopie, le visage de Mandela, la trogne de Noriega. Je revois les kolkhozes d'Ukraine, le marché aux grains de Chicago, les élégantes du Viet Nam. J'entends la voix de Jacques Benveniste, qui croyait à la mémoire de l'eau, Jane Birkin parlant de Gainsbourg, tant de silhouettes, tant de reportages. Le journalisme fut mon pain de tous les jours. Je suivis d'un cœur léger ses mots d'ordre : voyager, rencontrer, raconter. Puis recommencer.
» Élu directeur, j'ai plongé dans l'aventure collective. Il a fallu garder confiance quand les dettes s'accumulaient, et que le Net ébranlait la galaxie Gutenberg. Il a fallu réinventer ce journal dans l'urgence et la douleur, sans gros moyens, avec la foi du charbonnier. Il a fallu aussi approcher le pouvoir et le tenir à distance. La mer était souvent agitée.
» J'ai tout revu, tout revécu. J'ai tout aimé ou presque, sachant avec Cioran qu'il faut parfois avaler l'amer avec le sucré. J'ai quitté Le Monde mais Le Monde ne m'a pas quitté. »

Le mot du toutologue

La chronique de Philippe MEYER, France Culture, 10 juillet 2012.

On aime l'écologie, mais, s'agissant des écologistes, du moins dans leur variante australienne, on se demande... Permettez-moi de vous offrir ce moment de fraîcheur pour ce vendredi de canicule annoncée.
« Le ciel vous tienne en joie. »




mardi 10 juillet 2012

La société des égaux

Pierre ROSANVALLON, La société des égaux, Éditions du Seuil, Paris, septembre 2011 (427 pages). Également disponible en version ePub.

J'ai mis plus de temps que d'habitude pour lire l'essai de Pierre Rosanvallon paru l'automne dernier, et le premier livre électronique que j'ai acheté. Non qu'il fut particulièrement difficile, le déroulement de son propos, de même que son style, sont particulièrement soignés. C'est que, cheminant dans l'évolution de la notion d'égalité depuis les révolutions française et américaine, je m’aperçus de la difficulté d'en bien rendre compte. Non que j'y renonce, mais tiens à vous en conseiller la lecture sans plus attendre -- faites-moi une fois confiance -- sur la seule base de la présentation de l'éditeur, ainsi que de l'entretien qu'il a accordé au Nouvel Observateur. Lecture fort utile qui apporte un éclairage différent sur le discours accoutumé, et combien plus intelligent, et sur la dilution de la pratique, sinon de l'idéal, démocratique : protestations des indignés, revendication corporatiste au carré rouge, cynisme des politiques. De plus, chose rare, l'auteur se risque à proposer des pistes de solutions.

Entretien au Nouvel Observateur : Pour une société des égaux.

Présentation de l'éditeur :

« Nous vivons aujourd'hui une véritable contre-révolution. Depuis les années 1980, les plus riches n'ont en effet cessé d'accroître leur part des revenus et des patrimoines, inversant la précédente tendance séculaire à la réduction des écarts de richesse. Les facteurs économiques et sociaux qui ont engendré cette situation sont bien connus. Mais la panne de l'idée d'égalité a aussi joué un rôle majeur en conduisant insidieusement à délégitimer l'impôt et les actions de redistribution. Du même coup, la dénonciation d'inégalités ressenties comme inacceptables voisine avec une forme de résignation et un sentiment d'impuissance. Il n'y a donc rien de plus urgent que de refonder l'idée d'égalité pour sortir des impasses du temps présent. L'ouvrage contribue à cette entreprise d'une double façon. En retraçant l'histoire des deux siècles de débats et de luttes sur le sujet, il apporte d'abord un éclairage inédit sur la situation actuelle. Il élabore ensuite une philosophie de l'égalité comme relation sociale qui permet d'aller au-delà des théories de la justice qui, de John Rawls à Ainartya Sen, ont jusqu'à présent dominé la réflexion contemporaine. Il montre que la reconstruction d'une société fondée sur les principes de singularité, de réciprocité et de communalité est la condition d'une solidarité plus active. »


dimanche 8 juillet 2012

Attention : la loi du marché

Serge AUDIER, Néo-libéralisme(s) - Une archéologie intellectuelle, Grasset, Paris, février 2012 (636 pages); également disponible sous format ePub.

J'aime à lire ce genre d'essai sous format électronique, tirant parti des multiples options qui facilitent la lecture et la prise de notes. Je pourrai procéder en outre sans avoir à me préoccuper de la date de retour à la bibliothèque.

Cependant quelle ne fut pas ma surprise de constater la forte différence de prix entre celui proposé par la librairie de livres numériques ePagine (France) et le site québécois d'un magasin appartenant à un de nos magnats de la convergence : pour les mêmes 0 et 1, respectivement 23,75 $ et 32,99 $.

Je vous recommande donc d'être vigilants et de mettre en œuvre les principes d'une saine économie de marché : songez à vos intérêts et non à ceux du ... banquier. Et blâmez ce dernier pour l'aggravation du déficit de la balance commerciale.

mardi 3 juillet 2012

Le testament américain

Franz BARTELT, Le testament américain, Gallimard, Paris, 2012 (133 pages); aussi disponible sous format ePub.

Le testament américain
Baptisé comme il se doit, vu mes âge et lieu de naissance on n'y coupait pas, je m'estimais purgé du péché originel. Las, quelle eau lustrale me lavera des deux taches qui font ma réputation, et telles la marque de Caïn constituent ma malédiction : lire des livres difficiles, aimer le cinéma d'Éric Rohmer ? À l'ami qui me demandait une suggestion de lecture, j'ai vu au froncement du sourcil que ma réponse serait suivie aussitôt par le fatal « oui, mais c'est pour me distraire...» Avec moi, Françoise Sagan devient la dernière des intellectuelles germanopratines ! J'en suis venu à redouter de médire de la prose de Mlle B***, comme le fit avec tant de verve Éric Chevillard dans le Monde à propos de L'Anglais, de crainte d'assurer son succès. Quand à Rohmer...

Que faire donc pour vous persuader de lire le nouveau roman de Franz Bartelt ? Pour deux heures, non pas à tuer, mais de pur bonheur de lire, accordez-vous ce plaisir, et comme si ce n'était pas moi qui vous le recommandais, mais telle demoiselle du micro ou des gazettes estivales.

Soit le petit, et obscurissime, village de Neuville -- ironique antinomie -- et son cimetière, legs du miliardaire américain Clébac Darouin (Darwin ?), dont les monuments permettront aux habitants de dormir, à perpétuité, bien mieux logés que dans leur lit chaque nuit. Sitôt celui-ci inauguré, voici que le maire, Albert Pneu, décède subitement, et qui sera son premier utilisateur. La vie continue, sous la férule du suppléant, le René Vendrèche :
« C'était un idiot des profondeurs, disait-on de lui. Il avait le physique d'un poisson plat et une façon d'être bête que les plus malins ne parvenaient pas à saisir. Il était bête, mais sans entrer dans aucune claissification de la bêtise. Souvent il proférait des stupidités irréprochables d'authenticité ... : "Les chaises sont faites pour avoir des pattes" ou bien "L'ombre de l'échelle est condamnée à être derrrière les barreaux".
J'ai connu naguère, du temps de mes jours ouvrés dans l'administration, quelqu'une qui était, en matière de sottise, l'équivalent du Vendrèche, art qu'elle pratiquait avec une remarquable maîtrise, mais revenons à Neuville. On y vit de rien, d'une ruralité rustre et rébarbative, avec les rares joies d'un très rustique sexualité, partageant inceste de génération en génération et vaseline pour les nuits fastes, pour peu que l'on n'oublie pas que l'éducation sexuelle se fait principalement à l'étable... On n'y meurt pas d'amour, mais il arrive qu'on y meure raide ! Âmes chastes, ou de grande vertu, s'abstenir.

Pourtant même l'obscurité a une fin, qui prend la forme d'une présentatrice du journal télévisé de la région, laquelle ayant perfectionné des techniques naguère réservées aux horizontales avait gravi les échelons de la hiérarchie médiatique : elle ne ferait, impossible de résister à son regard « d'un bleu d'une intensité singulière, comme celui des lampes à souder », qu'une bouchée du René Vendrèche. La télévision venue, la vie, et la vie après la vie, ne seront plus jamais les mêmes pour les Neuvillois.

Leçon à tirer : il ne faut pas se méfier uniquement des Grecs et de leurs présents, mais aussi des richissimes américains et de leurs legs (Wallmart included).

Nul doute qu'Éric Rohmer en aurait tiré une remarquable adaptation.

Au René Vendrèche le dernier mot : « La tranche est au saucisson ce que l'oeuvre est à l'art. »

Présentation de l'éditeur :
Le village de Neuville s'enorgueillit d'avoir vu naître, à la faveur d'un accident d'avion, l'illustre Clébac Darouin, milliardaire américain. Celui-ci est resté reconnaissant à ce coin de campagne de lui avoir permis de voir le jour, et il inonde le bourg de ses bienfaits. Son dernier cadeau est le plus somptueux : il offre par testament aux Neuvillois un cimetière hors normes. Chaque habitant y aura sa tombe, vaste comme une maison. La cité funéraire se bâtit à l'abri de murs, et chacun y a son petit palais de marbre. Le nouveau cimetière va bientôt attirer les journalistes (dont la jeune et trop excitante Anne-Marie), mais aussi quelques complications inattendues... On retrouve ici l'univers inimitable de Franz Bartelt, et son style formidable de précision, d'ironie et de roublardise. 
Du même auteur :
La mort d'Edgar
Le jardin du bossu
Pleut-il ?