mercredi 7 mars 2012

Ruwen OGIEN, L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine (et autres questions de philosophie morale expérimentale), Grasset,  Paris, septembre 2011 (336 pages).

Voici un livre dont je croyais que sa lecture serait plus ardue, en dépit du titre un peu racoleur. Il n'en fut rien, et je l'ai expédié en moins de quatre jours avec beaucoup de plaisir.

Plaisir que n'éprouve pas, il me semble, un ami psychologue -- bien que l'amitié n'aie pas de prix, il m'est très cher -- dont je ressens une tacite mais certaine exaspération dans ses réponses à mes multiples textos où je lui demandais son avis sur, en ce qui touche la morale, la controverse entre les minimalistes et les maximalistes, les premiers tenant que notre morale « de base » (celle du plus jeune âge) est plutôt pauvre en ce qu'elle se réduit au souci de ne pas nuire aux autres tandis que les seconds la croient au contraire très riche nous permettant de juger très tôt immorales des actions qui ne nuisent pas aux autres (ce que l'auteur appelle les « fautes sans victime ». Ou encore sur la querelle entre les psychologues de la mouvance situationniste et ceux qui se disent empiriques. Ou enfin sur la théorie de la « modularité de l'esprit humain » en tant qu'assise scientifique à l'idée d'un sens moral naturel. Las, c'est que je voudrais bien qu'il le lise, cet essai, et me donne ses vues sur ces questions fondamentales.

Ne fuyez pas aussitôt m'accusant de me moquer de vous, mais procurez-vous cette introduction générale à l'éthique (ou à la morale, les deux termes étant, selon l'auteur, à peu près interchangeables). Et comme l'auteur présente dès l'avant propos ses idées principales (antifondationnalistes et pluralistes), je lui donne la parole, vous comprendrez tout :
« 1) Il n'est vrai que nos croyances morales n'auraient absolument aucune valeur s'il était impossible de les faire reposer sur un principe unique et incontestable (Dieu, la Nature, le Plaisir, les Sentiments, la Raison, etc.) : en éthique on peut se passer de "fondements".
» 2) Admettre une certaine forme de pluralisme des doctrines et des méthodes est l'option la plus raisonnable en éthique. »
L'époque est aux livres de cuisine, l'auteur nous donnera, au soutien de ces idées, les deux ingrédients de ce qu'il appelle « la cuisine » morale : les intuitions morales et les règles de raisonnement moral. C'est beaucoup plus simple qu'il n'y paraît :

L'énoncé : « Quand on voit un enfant qui se noie, on essaie de le sauver. Il serait monstrueux de ne rien faire pour l'aider à le sortir de l'eau. » est un exemple d'intuition morale.

Les principales règles de raisonnement moral s'énoncent comme des maximes : « Devoir implique pouvoir », « De ce qui est, on ne peut pas dériver ce qui doit être » et « Il faut traiter les cas similaires de façon similaire ».

Et c'est ainsi que l'auteur nous introduit à la philosophie morale expérimentale, laquelle « cherche à comprendre les mécanismes de formation, dans la tête des gens, des idées morales. » Suivra une série de dix-neuf expériences, les unes de pensée, les autres de comportement, dont celle qui s'intitule Est-il plus difficile d'être un monstre ou un saint, donnera son titre à l'ouvrage, une des conclusions de celle-ci étant que plus de gens se portent au secours d'un tiers quand ils sont à proximité d'une boulangerie d'où émane une agréable odeur de viennoiseries que dans un environnement neutre...

En conclusion, ce livre nous permet de nous débarrasser d'un bon nombre de préjugés, ou d'opinions toutes faites en matière d'éthique -- il ne propose pas de solution, mais montre que toute thèse a ses points forts, mais aussi ses démentis, d'où l'approche pluraliste de l'auteur.

Pour qui suit l'actualité, le monde politique, ses discours, ce livre est bienvenu.


Présentation :
« Vous trouverez dans ce livre des histoires de criminels invisibles, de canots de sauvetage  qui risquent de couler si on ne sacrifie pas un passager, des machines à donner du plaisir que personne n'a envie d'utiliser, de tramways fous qu'il faut arrêter par n'importe quel moyen, y compris en jetant un gros homme sur la voie.

» Vous y lirez des récits d'expériences montrant qu'il faut peu de choses pour se comporter comme un monstre, et d'autres expériences prouvant qu'il faut encore moins de choses pour se comporter quasiment comme un saint : une pièce de monnaie qu'on trouve dans la rue par hasard, une bonne odeur de croissants chauds qu'on respire en passant.

» Vous y serez confrontés à des casse-tête moraux. Est-il cohérent de dire : "ma vie est digne d'être vécue, mais j'aurais préféré de ne pas naître" ? Est-il acceptable de laisser mourir une personne pour transplanter ses organes sur cinq malades qui en ont un besoin vital ? Vaut-il mieux vivre la vie brève et médiocre d'un poulet d'élevage industriel ou ne pas vivre du tout ?

» Cependant, le but de ce livre n'est pas de montrer qu'il est difficile de savoir ce qui est bien ou mal, juste ou injuste. Il est de proposer une sorte de boîte à outils intellectuels pour affronter le débat moral sans se laisser intimider par les grands mots ("Dignité", "vertu", "Devoir", etc.), et les grandes déclarations de principe ("Il ne faut jamais traiter une personne comme un simple moyen", etc.).

» C'est une invitation à faire de la philosophie morale autrement, à penser l'éthique librement.»

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