lundi 5 mars 2012

De l'amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles

Lucien JERPHAGNON, De l'amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles - Entretiens avec Christiane RANCÉ, Albin Michel, Paris, août 2011 (263 pages).

Comme j'aime à écouter des entretiens à la radio (bien plus qu'à la télévision), j'aime la lecture des entretiens, qui donnent au lecteur l'impression de participer, et à son propre rythme, à la conversation, et, il me semble, permettent l'entrée, côté cour, à l’œuvre de sommités, laquelle, côté jardin, n'est pas toujours facilement accessible -- je songe ici à ceux récemment conduits avec Jacques Derrida, Claude Levi-Strauss et Michel Serres notamment.

Bien qu'ayant découvert , grâce à la radio, cet historien de la philosophie assez récemment -- il est mort nonagénaire en septembre dernier  --, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire quelques uns de ses ouvrages (voir la liste ci-dessous) les plus importants. La lecture de ses entretiens nous permet de faire le tour complet du jardin de cet agnostique mystique, pour reprendre ses propres termes, et de partager sa vision sur la vie et la mort. Et d'admirer ce qui, pour moi, constitue la sagesse : un savoir humble, et une grande sérénité devant le mystère de la condition humaine. Pardonnez-moi le cliché : un rayon de soleil dans la grisaille du quotidien.

Plutôt qu'une recension de ces miscellanées, je vous propose quelques extraits qui me semblent bien résumer la pensée de « Jerph », comme il s'appelait lui-même, et la finesse de son esprit.

Sur l'opposition mythe - rationalisme :

« Des siècles durant, naturel et surnaturel, mythique et rationnel vont coexister de façon pacifique, s'éclairant l'un l'autre. ... Il fallait des mathématiques pour construire un temple, et des prières pour son inauguration. ... Cela a duré jusqu'à l'hégémonie des religions monothéistes, chacune tenant sa croyance pour la seule authentique et déterminée à subordonner le rationnel au mythique, voire à l'évincer carrément, avec ou sans l'appui des autorités civiles. D'où les aberrations de l'Inquisition, de l'affaire Galilée, du créationnisme hostile à  Lamarck et Darwin, etc.»

Sur les églises, ce propos qui le rapproche de Régis DEBRAY :
« ... avant de louer le Seigneur, il faut louer la salle. »
La définition d'un bon professeur :
« ... quelqu'un dont on a l'intuition qu'il vous aidera à devenir non pas seulement quelque chose : un élève, un étudiant parmi d'autres, pourvu d'un diplôme avec ou sans mention, mais quelqu'un. Quelqu'un d'unique : soi. Et à l'être mieux grâce à ce savoir partagé et à ce qu'il a fait naître de curiosité. »

Sur le savoir :
« Le savoir authentique n'est pas accumulation, obésité intellectuelle en quelque sorte, mais continuelle aspiration, à partir de ce qu'on apprend, à contempler ce qui fait que le monde, perceptible par ses images, est présent, et donc existe. »

Voir du même auteur : Histoire de la pensée, La sottise et Les dieux ne sont jamais loin.

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