lundi 9 janvier 2012

Le passager : où l'on tourne les pages

Jean-Christophe GRANGÉ, Le passager, Albin Michel, Paris, août 2011 (750 pages).

Il n'y a pas, en français, de métaphore équivalente à celle de page turner. On doit se rabattre sur les adjectifs passionnant ou captivant, ce qui n'est pas, à l'évidence, du même sel. J'oserais la métaphore suivante : un livre, comme le train, à grande vitesse. Quelques pages à petite vitesse pour quitter la gare, puis installé dans la rapidité au gré des chapitres brefs, j'ai franchi la première partie en moins d'une journée, trajet à peine interrompu pour la prise de notes en vue de la rédaction du présent commentaire et, parfois, du dictionnaire pour vérifier tel mot d'argot.

Je l'avoue de bon gré, je suis entré dans l'histoire, mais on ne s'y trompera pas, ce n'est que cela : une histoire, il n'y a pas d'écriture. Certes la construction prend le lecteur -- comme on prend un otage --, lequel avance comme dans un labyrinthe; comparaison qui n'est pas gratuite, l'auteur ayant recours à la mythologie pour habiller les meurtres que tentera d'expliquer le protagoniste principal, l'OPJ Anaïs Chatelet (officier de police judiciaire), le mythe du Minotaure pour la première partie.

Le thème est simple : la fugue psychique (ou fugue dissociative) dite « syndrome du voyageur sans bagage » -- à ne pas confondre avec le syndrome amnésique rétrograde... :
« Il arrive qu'un homme, sous la pression d'un fort stress ou d'un choc, tourne le coin de la rue et perde la mémoire. Plus tard, quand il croit se souvenir, il s'invente une nouvelle identité, un nouveau passé, pour échapper à sa propre vie. C'est une sorte de fuite, mais à l'intérieur de soi. »
Ceci posé, qu'on se gardera d'oublier pour la suite des choses, on s'embarque dans un jeu de poupées russes. Pour le reste, tous les ingrédients sont réunis pour que prenne la mayonnaise. À ce point que l'on imagine sans difficulté le film qui sera tiré du livre, ou plutôt la série télé en six épisodes. Les personnages principaux sont peints à la truelle et ont chacun des traits nécessaires pour faire rebondir l'intrigue : des solitaires « avec bagage » marginaux; les personnages secondaires sont, justement, secondaires, on n'insistera pas. Style minimal : tout se passe à l'imparfait; dialogues abondants; on songe à ces tours à anonymes, ces blocs de verre bleuté sans architecture ni grâce, si fréquents dans nos villes : l'efficacité prime.

Oui, c'est efficace -- je parle de la première partie, et il n'y a aucune raison de bouder son plaisir, c'est très comfort food : le Saint-Hubert de la littérature, une affaire de sauce brune.

En tout cas, il m'a inspiré force métaphores pour vous le présenter. Pour l'heure, la deuxième partie est bien entamée : il est beaucoup question de clochards, avec force détails qui horrifieront le bourgeois.



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