vendredi 4 novembre 2011

Les jardins statuaires

Jacques ABEILLE, Les jardins statuaires, dessins de François SCHUITEN, Éditions Attila, Paris, 2010, première édition aux éditions Flammarion en 1982 (473 pages).

Est arrivé le temps, terminée la lecture, de formuler le commentaire sur ce beau, très beau roman. Qui a constitué une très agréable distraction, en ce sens que j'ai rarement, et depuis longtemps, été aussi absorbé par un roman, auquel je me suis abandonné. En un mot, je suis dans l'impression, et peine à trouver les mots de la raison pour en parler.
« Je vis de grands champs d'hiver couverts d'oiseaux morts. Leurs ailes raidies traçaient à l'infini d'indéchiffrables sillons. Ce fut la nuit.
J'étais entré dans la province des jardins statuaires.
...
Les voyageurs sont rares. Il y a des routes, mais on n'y passe pas. »
Peu de personnages, aucun, par ailleurs, sauf un, n'est nommé. Peu d'action non plus, surtout dans la première partie, laquelle constitue la découverte par le lecteur, tout comme le narrateur, de cette contrée où les statues poussent dans de vastes jardins. Contrée où le narrateur -- au « tempérament morose » -- arrive, on ne sait quand ni pourquoi, mais qu'il se décide à explorer et à connaître, exploration dont il entend faire un livre, ce livre-même que nous avons entre les mains. Nulle sécheresse pourtant dans cette première partie, que je qualifierais, pour simplifier, d'ethnologique. Où les habitudes -- les valeurs, dirions-nous de nos jours -- des habitants sont révélées -- mais jamais jugées.

Et puis, du temps ayant passé, le narrateur partira explorer les confins de la province et même, quoiqu'on le prévienne contre ce projet, rempli de dangers et de périls, les terres au delà des terres connues, là où vivent les Barbares, dont on sent qu'ils constituent une menace, lourde et de plus en plus présente. Au cours de cette pérégrination, il rencontrera l'amour en Vanina -- le seul personnage nommé (Il y a bien un Barthélémy, personnage fort secondaire, mais je crois qu'il s'agit d'un oubli de l'auteur) qui l'accompagnera désormais. Le narrateur connaîtra en outre une aventure périlleuse, enlevé par d'étranges Barbares, et conduit auprès de leur chef, dont il partagera un moment l'intimité, mais à qui il refusera de se lier, préférant retourner dans les jardins statuaires, porteur d'un message sinistre.

Pour moi, la grande qualité du roman tient en la façon dont le récit du narrateur -- de ce qui constituera son livre -- engendre une poésie pleine d'intensité et évocatrice d'atmosphère qui évoluent imperceptiblement d'une sérénité curieuse, voire amusée, devant la découverte des us et coutumes des habitants des jardins à une inquiétude lancinante devant la menace de plus en plus obsédante des Barbares et de l'imminence de la guerre, et peut-être, aussi, d'une fin du monde. Poésie, oui, je ne puis dire mieux.

Ni d'histoire, ni de science-fiction cependant, car peu importe l'irréalité du lieu et de l'époque. Rien non plus de l'habituel -- si populaire, et banal -- bazar pittoresque du passé reconstitué ou du futur fantasmatique. Seule la subtile imagination de l'auteur parvient, grâce notamment à la sobriété d'un style pourtant éminemment poétique, à la complète séduction du lecteur; c'est l'imaginaire à l’œuvre.

De la littérature, c'est rare.

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