samedi 9 juillet 2011

Cartographie onirique : Environs et mesures


Pierre SENGES, Environs et mesures, Le Promeneur, Paris, mars 2011 (103 pages).

« Il nous faut des lieux de merveilles auxquels penser avec avidité (avec envie, ou même cupidité : des sentiments rabaissants pour mettre à notre portée des objets de haut vol) -- par exemple le royaume du Prêtre Jean, Ophir et les Champs Élyséees : impossible d'y installer une succursale, mais envisager de le faire, ça oui : s'y rendre sans en atteindre les frontières ni les portes, en revenir sans y avoir séjourné. Nos au-delà sont de cette sorte : on en voit revenir des hommes, comme Orphée des Enfers, chargés de récits au lieu d'or véritable, et chargés de rumeurs; d'autres aventuriers appareillent pour faire le voyage -- on ne les reverra plus. Le reste est affaire de gloses : les eaux territoriales des Sept Cités ne sont pas tant et tant d'hectares remplis de tant et tant de mètres cubes d'eau saum¸atre, mais une bibliothèque entière, et parmi les lecteurs, ceux qui y croient, ceux qui n'y croient pas, ceux qui se contentent de lire et n'ont pas à choisir, tant que leur lecture se prolonge, entre crédulité et scepticisme. Voilà les îles merveilleuses semées entre l'Europe et l'Amérique, puis entre l'Amérique et les Indes : des lieux soumis à d'étranges climats, intermédiaire entre ce qui est et ce qui n'est pas. »

Une fois n'est pas coutume, je laisse la parole à mon auteur, une large citation -- en l'espèce, un chapitre entier --, mais il m'en a donné la permission, qu'il en soit remercié, car, depuis le temps que je commente ses livres avec l'espoir que vous les lirez, et celui que vous les aimerez aussi, puis, les ferez lire et aimer à votre tour, je n'ai rien trouvé de mieux que cet extrait de Environs et mesures, pour, bien mieux que l'appât de la présentation de l'éditeur, attirer votre attention sur Pierre SENGES.

C'est dans les textes les plus brefs que je le préfère, il me semble que la brièveté et la concision lui réussissent, suscitant chez moi un rare émerveillement. De la finesse dans l'invention, et pourtant ce n'est pas de la fiction, même si c'est une merveille d'imagination : inclassable, je vous le dis, inclassable. Ce chapitre vous donne l'essentiel de sa manière et de son style, reconnaissable aussi à sa ponctuation. Et, pour moi, cela vaut mieux que tous les billets en première classe à bord du meilleur avion de la meilleure compagnie aérienne du monde, oui, il vaut mieux que n'importe quel antipode. Accompagnez, pour plus de plaisir, sa lecture, pour un plus grand bonheur, du SCARLATTI de Scott ROSS, ou si vous n'êtes pas très clavecin, du RAMEAU d'Alexandre THARAUD. Un bon thé vert de Chine lui convient aussi très bien.

Présentation de l'éditeur :
S'inscrivant dans la suite de La réfutation majeure (2004) mais sur le mode de l'essai, Environs et mesures propose de comparer géographie réelle et géographie imaginaire. Les tentatives menées, d'un bout à l'autre de l'histoire, pour fixer sur une carte des lieux imaginaires font naître, sous la plume de Pierre Senges, un étonnant catalogue, écrit à la manière de Sir Thomas Browne ou de Robert Burton. Regroupant des catégories hétérogènes qui auraient ravi Borges (" paradis ", " enfer ", " lieux de l'Odyssée ", etc.), le texte s'attarde aussi sur quelques figures étonnantes : l'historien Victor Bérard qui passa vingt ans de sa vie, au tout début du siècle dernier, à chercher l'île de la nymphe Calypso, ou la dizaine de chercheurs qui tentèrent de localiser, sur une carte de l'Espagne, la " bourgade dont je ne veux pas me rappeler le nom ", évoquée par Cervantès au tout début de Don Quichotte. Au-delà du plaisir encyclopédique à énumérer noms de lieux exotiques et figures de géographes sérieusement cocasses, ce bref essai tente d'expliquer les raisons qui ont poussé tant de savants à assigner en un endroit précis des territoires de pure fiction; il montre comment l'imaginaire et le réel, le flou et la précision se prolongent l'un l'autre, nourrissant notre curiosité et notre émerveillement. Et ces explications ne sont pas là pour servir de leçon, mais au contraire pour inviter le lecteur à découvrir une autre forme de gai savoir, par le voyage ou par la lecture.

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