vendredi 21 janvier 2011

Du côté de Molière

Jean-Baptiste POQUELIN de MOLIÈRE, Le misanthrope, comédie, Paris, 1666 (plusieurs éditions sont disponibles, j'ai utilisé celle de la Pléiade, Gallimard, 2010).

Quoi de mieux, pour échapper aux aléas de la vie quotidienne, lesquels connaissent aussi leurs imprévus climatiques, que de prendre refuge dans un bon livre ? En l'espèce, étant ces jours-ci d'humeur mélancolique, Bonjour tristesse et tout ce genre de choses, j'ai pris le premier tome de la nouvelle édition de la Pléiade des Œuvres complètes de MOLIÈRE et j'ai ouvert le Misanthrope. Je l'ai lu, bien lentement, constatant dès l'abord la distance entre la langue du XVIIe siècle et la nôtre, qui va, encore, s'allongeant, et me demandant pour combien de temps nous pourrons encore le lire et bien la comprendre, comme la littérature du XVIe nous est à peu près devenue inaccessible.

Si la langue évolue, le monde aussi -- j'entends par là la société -- et la nôtre n'a plus grand chose en commun avec celle de la deuxième moitié du XVIIe, quand le soleil de Louis XIV approchait de son zénith. On aime toujours d'amour, mais ne le dit pas pareillement, les codes ayant changé : la carte du Tendre ne figure pas sur Google Map (même si on la trouve sur Wikipedia). De même ont changé les rapports entre les amoureux -- on disait alors, sans aucune connotation sexuelle, « amants », et aussi ceux entre les rivaux en amour. Et FREUD est venu, qui a aussi changé notre regard sur le monde : est-il désormais possible de ne pas parler de la psychologie des personnages, de l'auteur ?

Ainsi de certains metteurs en scène, tout à leur obsession de « l'actualité de la pièce » qui vous dénaturent une œuvre aussi bien qu'un taliban vous dynamite un bouddha ancien. Ayant à l'évidence du passé ont fait table rase, et de la culture itou, que peuvent-ils alors nous offrir qu'une vision anachronique ?

Foin de la digression; deviendrais-je, l'âge venant, atrabilaire ? Revenons au texte.

À bien des égards, Alceste, puisque c'est de lui dont il est, principalement, question n'est pas si misanthrope qu'on le pense. De la misanthropie, il n'a que son incapacité à vivre en société, c'est à dire à participer aux jeux et intrigues du quotidien, de là sa volonté de se retirer dans un désert. De ce genre d'homme, je songe, en écrivant, à Pierre FOGLIA, mutatis mutandis, dont la plume nous régale dans La Presse, et dont j'aimerais bien que quelqu'âme charitable songeât à nous offrir un florilège de ses billets. Alceste serait davantage un intégriste de la vérité qu'un misanthrope, du moins au sens du XVIIe siècle, car il est incapable de la moindre complaisance envers ses semblables, toute vérité étant, selon lui, bonne à dire, et dans sa plus resplendissante nudité. Quitte à s'aliéner chacun, ce qui lui fera perdre un important procès faute d'avoir recours à un minimum de lubrification judiciaire (c'était, semble-t-il l'usage alors...) et sociale. Cette volonté de vérité contrarie également ses rapports avec Célimène, laquelle tient à son rôle de coquette, position qui lui fera choisir le monde au lieu de l'amour.

Sans verser dans le psychologisme, on notera que les caractères de la pièce ont bien plus d'importance que l'intrigue, MOLIÈRE ne conservant, ce qui étonna à l'époque, que les grandes lignes de la comédie « sentimentale ». Par exemple, s'il y aura à la fin de la pièce, l'obligatoire mariage, ce sera celui de personnages secondaires et non pas celui des deux personnages principaux Alceste et Célimène.

Je ne vais pas gloser davantage, chacun trouvera dans l'édition de son choix les notes sur la pièce, sinon pour insister sur l'immense délectation que j'ai ressentie à la lecture de la pièce et à redécouvrir la beauté de cette langue d'autrefois.

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