lundi 15 novembre 2010

L'été de la vie

J. M. COETZEE, L'été de la vie, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Catherine Lauga du Plessis, Seuil, 2010, titre original Summertime, (320 pages).

Je ne croyais pas, en le plaçant dans ma valise, pouvoir trouver un meilleur livre pour ma semaine à Cayo Largo, moi dont la concentration est, telle l'écoute freudienne, flottante, surtout à la plage. En revanche, difficile d'y apporter son nécessaire de lecture, dictionnaire, cahier de notes, crayons, et impossible d'annoter un livre emprunté à la bibliothèque, qu'on ne veut pas, de surcroît, tacher de crème solaire.Faisons donc confiance à la mémoire.

Je n'ai rien lu de COETZEE depuis une dizaine d'années, depuis Disgrace.


À l'heure où la fiction française souffre encore des pires débordements de « l'auto-fiction », -- sujet d'une récente émission de Répliques, Littérature et vérité, sur France Culture -- il est intéressant de constater comment un auteur anglophone s'y prend pour se raconter tout en se mettant délibérément en fiction. Je le dis d'entrée de jeu : la technique de l'auteur est stupéfiante, et pourtant coule comme de source. Un magnifique travail d'écriture.


Le récit/roman s'ouvre sur une série de fragments de carnets tenus par J. M. COETZEE (l'auteur ou le personnage ?) dans les années 70 dont on saisit mal ce qui les unit. Suivent cinq entretiens menés par un jeune universitaire qui travaille à la biographie du romancier dont on apprend qu'il est décédé (donc le personnage) avec cinq personnes qui ont connu celui-ci dans ces mêmes années. Cinq personnalités très différentes dont la perception de COETZEE l'est également. Le regard de la maîtresse insatisfaite n'est en effet pas le même que celui de la cousine, de la collègue de travail , d'un ancien rival à un poste universitaire ou de la mère d'une de ses élèves. D'autant plus que leurs rapports ont tous été relativement limités dans le temps, d'une part, et, d'autre part, remontent à plusieurs années. Ce qui, au passage, en dit beaucoup sur l'objectivité du travail biographique, mais c'est là un tout autre débat. L'ouvrage se referme sur une nouvelle série de fragments, mais non datés cette fois.

Le chapitre le plus achevé, selon moi, superbe mise en abîme, est celui où l'auteur COETZEE fait lire par son biographe (un personnage fictif) à Margot (peut-être un personnage réel), sa cousine, lors d'une rencontre, la retranscription des enregistrements des conversations qu'ils ont eues, laquelle a été retravaillée « afin que cette prose se lise comme un récit continu de [sa] seule voix » et rédigée à la troisième personne. Ici, la subjectivité du biographe s'ajoute à celle de la cousine, avec en prime le commentaire que celle-ci en fait en cours de lecture. On peut difficilement faire mieux. Ce chapitre m'a paru le plus révélateur de la personnalité du personnage COETZEE; ou plutôt de celle que l'auteur COETZEE souhaiterait nous présenter comme la plus proche de sa propre vérité, de sa propre perception de lui-même. Comme on dit : si non è vero, è bene trovato.

On a beaucoup parlé, à propos du roman de Michel HOUELLEBECQ, La carte et le territoire, de la façon dont il traitait les relations père/fils. Eh bien, quoique je ne vous encourage pas plus que de nécessaire à lire ce dernier roman, lisez L'été de la vie pour voir comment un écrivain s'y prend.

Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé ce livre. Et je vous suggère de ne pas ajourner sa lecture à vos prochaines vacances sous les palétuviers.



Présentation de l'éditeur :
« Après Scènes de la vie d'un jeune garçon et Vers l'âge d'homme, voici le troisième volet de l'entreprise autobiographique de Coetzee : il a atteint la trentaine et, de retour au pays natal, partage avec son père vieillissant une maison délabrée dans la banlieue du Cap. Autobiographie fictive puisque l'auteur confie la tâche d'un portrait posthume à un jeune universitaire anglais qui recueille les témoignages de quatre femmes et d'un collègue qui auraient compté pour l'écrivain en gestation dans les années 1970.
Ce quintette de voix laisse entrevoir un homme maladroit, mal à l'aise, brebis galeuse de la famille afrikaner qui peine à ouvrir son coeur. La femme adultère, la danseuse brésilienne, la cousine chérie, l'universitaire et la maîtresse française s'accordent à faire de lui un amant sans chaleur, un amoureux indésirable, un enseignant sans charisme. Ces entretiens sont encadrés de notes et fragments extraits de carnets où l'écrivain s'interroge et se cherche.
Dans ce récit où se mêlent le comique et le ridicule, la mélancolie et le désespoir, Coetzee se livre avec prudence et dévoile peu à peu un coeur en souffrance sous la cuirasse. Il invite une nouvelle fois le lecteur à une superbe méditation sur la condition humaine.»

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