vendredi 30 octobre 2009

Biffures - encore


À l'heure où le monde (lire l'Occident) s'agite autour de la grippe A H1N1, je me sens un peu à l'écart de l'action souffrant d'un banal rhume. Papiers mouchoir et bouillon de poulet, mais peu de lecture, hormis celle des journaux en ligne. Je poursuis Biffures, ou plutôt, ce livre ne m'abandonne pas tant il me plait. Mais je lui ai été infidèle, à quelques reprises, pour La révolte des élites et la trahison de la démocratie, l'ultime livre de Christopher LASH, un des penseurs les plus vifs, selon moi, de la fin du siècle dernier (il est mort en 1994).

Présentation de l'éditeur

“ Il fut un temps où ce qui était supposé menacer l’ordre social et les traditions civilisatrices de la culture occidentale, c’était la Révolte des masses. De nos jours, cependant, il semble bien que la principale menace provienne non des masses, mais de ceux qui sont au sommet de la hiérarchie”. Dans ce livre-testament, Christopher Lasch a tenu à placer sa critique des nouvelles élites du capitalisme avancé sous le signe du “populisme”, c’est-à-dire conformément au sens historique du mot, d’un combat radical pour la liberté et l’égalité mené au nom des vertus populaires.

Des copains et des prix

Tous pourris, je te dis, Roger - Pierre Jourde

Qu'en penser, que faire ? Jourde explique bien la difficulté de la situation, mais cette réflexion beaucoup d'entre nous, simples mortels, nous l'avons faite. Cela nous pousse-t-il du côté du cynisme ?


lundi 19 octobre 2009

La règle du jeu


Michel LEIRIS, Biffures, in La règle du jeu, Gallimard.

Voici un livre, je me répète, que je savoure avec lenteur. Voici un ouvrage qui nous change du narcissisme si fréquent dans l'autobiographie (égo-biographie ?)

Si PROUST a sa petite madeleine, ses pavés inégaux, le bruit d'une petite cuiller comme élément déclencheur de la mémoire involontaire et, partant, de son récit, LEIRIS, lui, par des mots et des de certaines locutions (Il était une fois, Du temps que les bêtes parlaient) pour réactiver un passé toujours vivant et nous faire partager sa vie. Un mot évoque une sonorité, en appelle une autre : Billancourt s'entent pour l'enfant LEIRIS « habillé-en-cour ». Gramophone et graphophone évoquent Perséphone.

J'ai, à cet égard, eu mon propre moment proustien avec ces deux mots de gramophone et graphophone. Il y avait au chalet de ma grand-mère paternelle un de ces appareils désuets -- on ne s'en débarrasse pas, ils quittent la ville, qui ne connaît plus le grenier, pour un exil définitif à la campagne -- et je jouais à écouter ces lourds disques restituer une voix passée dans son gros tube. Une de mes grand-tantes, soeur de mon grand-père, appelait l'appareil graphophone, que le reste de la famille désignait comme gramophone, ce dont je me moquais, l'appelant, par moquerie, tante graphophone. Et voici que, cinquante ans plus tard, j'apprends qu'il s'agissant en effet de deux appareils différents et que, pendant un temps, l'un et l'autre avaient coexisté.

Ne cherchez pas graphophone dans le dictionnaire, ni même dans Wikipedia, lisez plutôt LEIRIS...


mercredi 14 octobre 2009

Libéralisme

CHACUN SA CHIMÈRE


Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.

Chacun d’eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu’un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d’un fantassin romain.

Mais la monstrueuse bête n’était pas un poids inerte ; au contraire, elle enveloppait et opprimait l’homme de ses muscles élastiques et puissants ; elle s’agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture ; et sa tête fabuleuse surmontait le front de l’homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l’ennemi.

Je questionnai l’un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu’il n’en savait rien, ni lui, ni les autres ; mais qu’évidemment ils allaient quelque part, puisqu’ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.

Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n’avait l’air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos ; on eût dit qu’il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d’aucun désespoir ; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d’un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.

Et le cortège passa à côté de moi et s’enfonça dans l’atmosphère de l’horizon, à l’endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.

Et pendant quelques instants je m’obstinai à vouloir comprendre ce mystère ; mais bientôt l’irrésistible Indifférence s’abattit sur moi, et j’en fus plus lourdement accablé qu’ils ne l’étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.

Charles BAUDELAIRE, Le Spleen de Paris

Entendu ce poème au cours de l'émission Les nouveaux chemins de la connaissance du mardi 13 octobre sur Karl MARX.

mardi 13 octobre 2009

Croyez-vous ?

Croyez-vous entendre un politique, y compris un issu de notre bien pensante go-gauche, répondre à ces questions, voire seulement les poser ? Plus, lire ces questions dans tel journal de « l'élite » d'ici ?






André Tosel
Un monde en abîme ? : Essai sur la mondialisation capitaliste
novembre 2008


Comment comprendre la mondialisation qui est désormais le référent de toute pensée responsable ?
S'agit-il d'un événement sans précédent qui contraint à repenser l'espace et le temps de l'action humaine et la construction de notre monde ?
Est-elle plutôt une nouvelle période dans l'histoire de l'économie-monde régi par le mode de production capitaliste qui se reproduit ainsi selon son impératif systémique, mais sous des formes nouvelles ? Quelles sont ces formes économiques, sociales, politiques, culturelles ?
Comment penser le rapport entre l'hégémonie exercée par la direction stratégique des entreprises transnationales et les réformes du procès de travail par la nouvelle technologie sociale des communications ?
Quelles sont les conséquences de la financiarisation d'une économie qui fait de la force de travail internationalisée non pas tant un salariat qu'un précariat ?
Que faire de la production d'un apartheid mondial qui transforme des masses d'hommes en humanité superflue ?
Comment interpréter la généralisation d'une culture de l'infini d'une consommation solvable radicalisant le désir de consommer et effaçant la citoyenneté ?
La démocratie représentative peut-elle surmonter sa crise qui en fait un régime autoréférentiel excluant la prise en compte des besoins et des aspirations à la transformation ?
La promesse d'une démocratie cosmopolitique est-elle tenable ?
Que devient l'Etat-Nation et quelles sont ses fonctions nouvelles ?
La guerre globale imposée par l'Empire américain qui s'érige en peuple élu est-elle un destin ouvrant sur un conflit des civilisations ?
Comment penser les rapports entre un universalisme qui est menacé de devenir impérial et des différences socio-culturelles qui sont menacées de s'enfermer dans leur propre exclusivisme ?
Ces questions culminent dans une interrogation cruciale : le monde de la mondialisation est-il encore un monde abritant la possibilité ontologique de l'être en commun, d'un sens commun, d'une volonté commune, d'un bien commun qui ne peut se réduire au partage de règles de procédures ? N'est-il pas menacé par sa propre dynamique de production pour la production de s'abîmer dans le non monde ? Les promesses du néo-libéralisme comme celles du libéralisme social sont démenties cruellement. La philosophie est mise au défi de la nouvelle question cosmologique qui est tout à la fois ontologique et éthico-politique. Les catégories d'Histoire, de Monde, d'Action sont à repenser depuis ce point de vue qui est aussi celui des masses désassimilées et ségrégées par le moloch du capitalisme mondialisé.

jeudi 8 octobre 2009

Je lis Leiris

Michel LEIRIS, La règle du jeu, Gallimard - La Pléiade, 2003.

Ignorance de ma part ? sans doute. Une vie couvrant le XXe sièce, 1901-1990. Écrivain dont j'avais appris l'existence, ainsi va la vie, pour la première fois à sa mort, déjà dans le Monde des livres et, sans doute, L'Obs. Il ne faisait pas partie du programme obligatoire au collège, n'était pas habitué aux Top 50. Une quinzaine d'années plus tard, « sa » Pléiade me tombe entre les mains chez un bouquiniste. J'achète, après avoir feuilleté quelques pages. Il y a quelques semaines, je le prends dans ma bibliothèque, voisin de La Fontaine, dont Fabrice LUCHINI avait lu une fable à la fin de son one man show. Recherche dans mes ouvrages de référence, Dictionnaire des écrivains de langue française et Histoire de la littérature française et détour inévitable par Google et Wikipedia. C'est une pointure.

Je lis un peu moins ces jours-ci : effet de la maladie, manque de concentration. Et plus lentement. Mais j'avais envie d'une lecture « de qualité » et ce n'est sûrement pas sur les présentoirs des Renobric-à-brac et autre souks à PKP que j'aurais pu la trouver. Une pointure donc, une œuvre de conséquence semble-t-il. J'ouvre. Cela commence au début : enfance. Pas une séduction immédiate, mais je constate un grand amour des mots, de la langue. Un style. C'est fin, c'est jouissif : je tombe dedans. Une autobiographie ? rien à voir avec l'égo-fiction en vogue. L'invention d'une vie par un travail sur la langue, grâce à la langue.

Premier titre de ce quatuor que constitue La règle du jeu : Biffures.

J'y suis bien.

mardi 6 octobre 2009

Lecture du Monde des livres

Citation glanée :
« L'écriture blanche, un peu à la Duras, me semble aujourd'hui complètement épuisée. Écrire des phrases courtes qui disent insidieusement au lecteur " je n'en pense pas moins ", cela correspond à une impasse. » Alain FLEISCHER

lundi 5 octobre 2009

Lectures

Entré après le cinéma dans une librairie d'occasion, je fais mon tour habituel de mes auteurs favoris. Un Daniel BOULANGER que je n'avais qu'en poche Connaissez-vous Maronne ? Je recommande à chacun de mes amis cet auteur subtil -- romans et nouvelles, sans parler de ses Retouches -- et, las, fort méconnu, même s'il a jusqu'à tout récemment siégé aux Goncourts. Lisez seulement l'incipit :
Pour Edouard Clamerand, assis dans le bureau du commissaire de police, le bruit de la machine à écrire que sert une demoiselle un peu trop peinte et sur le retour lui rappelle le cliquetis d'une bataille de soldats de plomb, quand tous les fantassins tombaient sous l'obus qu'il leur lançait de l'autre bout de la chambre.
Le décor est brossé, la phrase file en souplesse, vous entendez le cliquetis.

Cela date de 1981, ne compte que 114 pages. Il est des plaisirs brefs de concision qui valent bien des pavés de rentrée.