dimanche 14 janvier 2007

Les mots pour le peindre

Frida K. une pièce de Gloria Montero, mise en scène de Peter Hinton, avec Allegra Fulton, au Théâtre anglais du Centre national des Arts du 9 au 27 janvier 2007.

Ce n'est pas que j'ai passé une mauvaise soirée, loin de là, mais je puis difficilement la qualifier de soirée « au théâtre ». Cette pièce sur le peintre Frida Kahlo (1907-1954) a, semble-t-il remporté un grand succès depuis sa création en 1994, il n'en alla pas autrement hier soir à Ottawa.

Je m'interroge donc sur les raisons de ce succès, que je ne n'arrive pas à m'expliquer d'emblée.

La pièce constitue un monologue dit par Frida K. qui nous fait le récit de sa tumultueuse vie depuis sa naissance (en 1910, dit-elle, trichant un peu), contemporaine de la Révolution mexicaine, à cette soirée de 1953 où s'ouvre la première exposition solo, en terre mexicaine, de ses oeuvres. Soit moins d'un an avant sa mort.

Les péripéties d'une vie « vécue » constituent-elle en soi un bon matériau dramatique ? Avoir été l'épouse de Diego Rivera, maîtresse, notamment, de Trotski, avoir fréquenté le Tout Paris de l'entre-deux guerres et avoir subi un horrible accident ce n'est pas à l'évidence banal. Mais en quoi cela devrait-il m'intéresser, et plus encore, me toucher, en tant que spectateur ?

Car, finalement, de Frida K., ce qui nous reste de plus important, n'est-ce pas son oeuvre de peintre ?

Ou alors préparons-nous à voir défiler dans les années à venir une foule de quidams importants ou non dont le seul intérêt aura été d'avoir eu quelques minutes de gloire...

Le metteur en scène ne s'y est pas trompé qui a tout fait pour animer (donner un âme) à ce monologue. L'interprète, tout aussi bien que le décor, s'agitent en tous sens, dans ce qui, pour moi, n'aura été qu'un documentaire joliment mis en espace et en lumière. Et ce n'est pas dans ce genre que le théâtre peut rivaliser avec le cinéma ou la télévision.

La raison du succès, alors ?

Je tente cette explication : on sait que la peinture ne fait pas, généralement recette auprès du grand public -- hormis dans de grands événements hyper-médiatisés comme les méga-expos ou les enchères : elle demeure incomprise, voire méprisée (« mon fils pourrait en faire autant...»).

En un mot, l'appel à la commisération a plus de chance de remporter du succès qu'un appel au goût. Le bon bourgeois, qui n'a pas beaucoup changé depuis Molière, aura l'impression de tout savoir sur Frida K, sans même avoir eu à voir une de ses oeuvres (en dépit d'une modeste tentative de l'auteur et du metteur en scène). Et d'éprouver le frisson d'admiration/répulsion devant cette vie si différente de la sienne.

La morale est sauve, les affaires continuent de tourner, et les peintres de dormir, seuls, dans les musées, ou les coffres forts des banques.

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